Extraits | Rolando Gomes

 

 

 

 

De la course à pied, dans son essence même

« Ironiquement, le plaisir et le bonheur que procure la course à pied prennent naissance à l’instant précis où le coureur termine une séance et sait qu’il ne lui reste plus qu’à rentrer à la maison et à retirer ses chaussures. Autrement dit, le plaisir et le bonheur que la course à pied apporte au coureur ne dérivent pas de l’acte de courir en soi, mais plutôt du fait d’avoir couru. Cette réalité constitue le non-dit le plus répandu dans le milieu de la course à pied. »

 

Des illuminés de la course à pied

« Ces coureurs et grands clercs parlent constamment de la course à pied de manière positive. Ils amplifient les bienfaits et les bons côtés de ce sport et escamotent systématiquement les désagréments et les facettes plus déplaisantes, en plus d’avoir une forte inclination pour l’alarmisme. J’appelle ces gens les illuminés de la course à pied. Les illuminés de la course à pied exagèrent l’importance de l’hydratation, de l’alimentation et des chaussures de course, poussant d’autres coureurs à s’encombrer d’une ceinture porte-bouteille pour courir quelques kilomètres, à avaler des gels énergétiques obsessivement pendant leurs longues sorties et à se défaire de leurs chaussures bien avant qu’elles ne soient réellement vétustes. »

 

De l’euphorie du coureur

« Bon nombre d’illuminés de la course à pied parlent de l’euphorie du coureur comme s’il s’agissait d’un état de jouissance suprême auquel les coureurs accèdent facilement après avoir couru quelques kilomètres. Ils parlent de ce phénomène en abusant sans vergogne de termes comme extase, plénitude, ivresse, état méditatif, invincibilité, nirvana. Malheureusement, la réalité est tout autre […] [L’euphorie du coureur] est un phénomène plutôt rare et largement exagéré; elle ne fait pas partie du lot quotidien du coureur sérieux. La normalité pour le coureur sérieux est plutôt caractérisée par le combat qu’il doit mener contre une voix intérieure qui s’exprime à coups de pensées négatives et démoralisantes. Cette voix intérieure tente de manipuler le coureur pour le mener à sa guise en lançant des assauts de manière sporadique contre sa détermination. Son objectif ultime est la prise de contrôle du monologue intérieur du coureur pour le convaincre de ralentir l’allure, d’abréger la distance qu’il avait prévu de courir, de substituer la marche à la course. »

 

De l’insatisfaction

« Si souffrances, douleurs et séances éprouvantes sont indispensables à l’amélioration et à la progression d’un coureur, elles ne sont cependant pas suffisantes. Un autre ingrédient essentiel doit être présent : l’insatisfaction […] Il n’est pas ici question d’une insatisfaction de l’ordre de celles qui s’amenuisent au fil du temps. Il s’agit plutôt d’un état d’insatisfaction profond et permanent par rapport à son cheminement de coureur qu’il faut entretenir et soigner en dépit des progrès et de l’atteinte d’objectifs. Il faut, en quelque sorte, faire de l’insatisfaction la toile de fond de son cheminement du coureur. Plus concrètement, il faut éviter à tout prix d’être pleinement satisfait de ses performances, à plus forte raison s’il s’agit d’un moment marquant, comme l’établissement d’un record personnel ou l’atteinte d’un objectif important. Cette conception des choses repose sur le principe suivant : il aurait été possible de faire mieux. Et ce principe se vérifie dans la quasi-totalité des cas de figure. Le fait qu’un coureur termine un entraînement ou une compétition sans devoir être hospitalisé est une preuve irréfutable qu’il aurait pu fournir un plus grand effort, qu’il n’a pas tout donné. »